Arbtor

Cerfs et biches

Cerfs et biches

 

A l’écoute…
 
            Mais qui sont ces mammifères qui se déplacent en troupeaux, qui semblent aux aguets – bien que bruyants- et avancent, muscles tendus, oreilles à l’écoute, jusqu’au cœur de notre forêt du Gâvre ?…
            Des hommes !
            Les humains, en cette soirée de début d’automne envahissent la forêt. Que cherchent-ils donc ? Entendre nos brame bien sûr !
            Mais en ce début d’automne, nous vous avons devancés. Lassés de vos allées et venues incessantes, de vos observations indiscrètes, nous nous sommes en allés. Aux alentours, des massifs forestiers non exploités nous ont permis de nous reposer. Là, nos biches pourront mettre bas en toute sérénité.
            Si vous savez nous respecter, alors peut-être qu’un jour, au petit matin, au bord du canal, au milieu d’un troupeau de vaches ou à l’orée d’un bois, nous nous observerons… Si vous avancez sur la pointe de vos pieds, alors peut-être que nous pourrons cohabiter discrètement...

Anne-Thérèse

Biches, ô mes biches…

           

        Vous souvient-il de nos folles nuits de septembre ? Galops dans le cercle magique, vous pour faire semblant de fuir, moi pour vous rassembler… Cris rauques, jeux sous la lune, soupirs de satisfaction, odeurs âcres… Et ces affrontements à la voix, parfois aux bois pour éloigner de jeunes délurés qui convoitaient la place, auxquels vous faisiez tourner la tête… Nostalgie des jours anciens. Les ami(e)s sont parti(e)s et moi je demeure… seul avec mes cauchemars.

            Souvenirs de chiens, de chevaux, de course éperdue pour échapper aux abois lancinants, aux sinistres cors postés dans toutes les allées, aux voitures, aux curieux, à toute cette faune humaine assoiffée de sang, ivre de notre souffrance jusqu’à l’épuisement, jusqu’à la mort…
 
            Parmi nous, plusieurs ont fui vers les boqueteaux voisins peu adaptés à nos errances. Lacérés par les terribles ronces protégeant les champs des humains, nous avons souffert pour manger, survivre…, poursuivis là encore par ces êtres faibles dont les bras savent projeter le tonnerre et les projectiles de mort. Où est notre place ? Dans la plaine nous dérangeons dès que nous grignotons, en forêt on nous accuse de nuire aux plantations ! Permettez-moi un triste sourire : si nous étions tellement destructeurs, il y a bien longtemps que les forêts n’existeraient plus ! Cherchez donc quels sont les vrais responsables de la déforestation…
 
            Mais, je digresse biches, ô mes biches… En ces jours de septembre, c’est à vous que je pense. Gréviste ? Plutôt résigné à un silence où s'éraillent d'involontaires gémissements. J’entends encore certains soirs les appels inquiets et pleins de désirs inassouvis de jeunes mâles en rut. Ils courent en tous sens… seuls. Quelles biches pourraient répondre à leur soif de vie ? Les tueries programmées ou dissimulées de nos femmes, de nos mères, de nos filles retentissent à longueur de semaine dans notre forêt et, de plus en plus souvent, dans la plaine aussi…
            Nul refuge. On nous aime sur les panneaux publicitaires au bord des routes. On nous massacre au creux des bois. On nous impose des zones de bruit et de lumière intempestive en lisière : étranges insectes gigantesques qui tournent en rond à l’ouest enveloppés dans des vrombissements stridents, constructions qui s’accumulent sur un sol détruit où l’herbe et l’arbre dépérissent… Un ami m’a dit qu’il s’agissait de « rentabilité », « d’argent », motivations de vie des humains qui parlent de « protection de la nature » en détruisant, adorent s’attaquer aux plus faibles et laissent tous les droits aux forts…
            Pourtant, j’ai remarqué récemment que des barrières ferment des allées en forêt, sans doute pour protéger les derniers spécimens de notre espèce. Mais qu’il est tard ! Peut-on encore y croire ? « Inutiles », « nuisibles », « chasse loisir »…, pauvres qualificatifs qui mèneront l’humain destructeur à sa propre perte.
 
            Vous qui croyez encore en nous, qui avez le respect de la vie, des vies, réveillez-vous ! VITE !
Laurent