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Heureux

 

                                                           Heureux !

               

              Une rumeur monte à l’ouest et va s’amplifiant, portée par les vents océaniques ; et voilà que la vague déferle sur le jardin emmenée par Davy, Thibault, Mathilde…, ceux et celles qui connaissent déjà les lieux et sont avides de faire partager le domaine – un peu « leur » domaine- aux copains.
               longcord.jpg Dès l’entrée franchie, c’est la course vers les cabanes, la mare… Escalades, pont de singe, balançoire au-dessus de l’eau. Les plus timides regardent avec un brin d’envie, les plus hardis s’avancent vers le radeau. Et l’intrépide Corentin s’aventure sur la longue corde qui traverse le plan d’eau en diagonale. Une remarquable traversée sans hésitation. Voilà quelqu’un avec qui on peut « réaliser l’irréalisable ». Un meneur qui tient à son image. Sa « supériorité » affirmée,  il s’élance vers le radeau où Thibault a vainement tenté de mettre pied. La fragile embarcation à l’humeur capricieuse s’est dérobée devant le jeune homme hésitant : bain de pieds, pantalon mouillé et souillé. Il lui faut un Maître. Corentin s’élance, et depuis son îlot en bois, choisit ses coéquipiers. Il franchit la mare en tous sens aidé d’une perche en bambou.
                D’autres se succèdent sur la balançoire, même les moins hardis s’y mettent et prennent de l’assurance. Le pont de singe, à l’entrée, est occupé en continu. L’espace grouille de vie sous le regard inquiet de la directrice du centre aéré qui a conduit ses ouailles au jardin pour qu’ils exposent leurs réalisations de vacances.
                Enthousiasme de la jeunesse, on voudrait tout faire à la fois : naviguer, éprouver son sens de l’équilibre, grimper dans les cabanes… Et même explorer le jardin à la découverte du nom des plantes ou vivre les agitations d'une mer en folie dans le hamac...
 
                Tant bien que mal les monitrices rassemblent les galopins (ceux qui galopent en tous sens) pour qu’ils installent leurs réalisations dans les arbres. Des œuvres souvent colorées, des mobiles réalisés avec des matériaux de récupération qui vont donner un nouveau visage au jardin durant quelques jours.
    heureux.jpg            Et c’est la reprise des activités sportives : cabanes, cordes, radeau ont un succès fou ! Si bien qu’il est difficile de réunir  le groupe à l’heure du goûter. Plusieurs seraient prêts à sacrifier ce moment privilégié, « sacré » nous avait-on affirmé, pour continuer l’aventure. Mais l’autorité bienveillante de Sandrine s’impose. Avant de s’asseoir sur l’herbe, les jeunes vacanciers dévalisent le mûrier. Des fruits plus acides que doux pourtant !
                Dès le signal de fin de goûter, la nuée fond à nouveau sur la mare. Même les mouches s’enfuient devant les envahisseurs. Une petite fille s’approche de moi, toute rouge de confiture. Elle murmure en désignant son cœur :
                «  Regarde, il m’aime ! »
                J’ai beau scruter les alentours : aucun garçon séducteur ne semble s’intéresser à elle. Quant au T-shirt, on y remarque surtout les empreintes du goûter.
                J’ai sans doute l’air perplexe, elle insiste :
                « Regarde le petit escargot, il m’aime. Il ne veut pas me quitter. »
                Effectivement, un minuscule gastéropode escalade le vêtement taché. Visiblement, un événement pour l’enfant qui marche précautionneusement et contemple son « ami » avec tendresse.
                Plus loin, deux garçons se chamaillent pour d’obscures raisons de prééminence. Le monde en raccourci dans ce groupe multi âges qui se presse autour du plan d’eau, interroge, interpelle, s’attendrit, s’enthousiasme, s’affronte…
 
                C'est au moment où Romain s'apprête à tenter l'aventure de la longue corde , pieds nus pour mieux l'agripper, torse nu pour conserver un vêtement sec... au cas où... qu'arrive l’heure de regagner le centre où les parents vont attendre… Car il est difficile de partir sans une caresse et quelques brins d’herbe aux chèvres.
 
                Un peu plus tard, alors que je m’apprête à quitter les lieux, voilà qu’apparaît Néo accompagné de son père. Il était urgent pour lui de faire découvrir ce paradis et d’expérimenter le radeau que les « grands » avaient accaparé durant l’après-midi. Nous partons pour un tour du domaine, mais assez rapidement Léo s’éclipse… Qu’est-il devenu ? Invisible, muet… En fait, nous le retrouvons épanoui, navigateur solitaire au milieu de notre « océan », loin de tout, apaisé, heureux…