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Lectures

 

Misères… : deux vies, celle de Johanna, l’adolescente, et celle de Tom, le petit homme de 11 ans. Chacun à sa façon affronte les réalités d’une vie où manque même le nécessaire.

Renate Welsh  - Johanna  

                Enfant abandonnée dans l’Autriche des années trente, Johanna deviendra servante « asservie » par un paysan « membre du Comité de Bienfaisance »… Sur fond de montée du nazisme, Johanna qui rêvait d’apprendre un métier, patauge pieds nus dans la boue et le froid. Une vie rude qu’elle partage en partie avec Maria, la fille des paysans, et surtout avec d’autres enfants naturels tout aussi méprisés. Bien que peu informée, elle affirme son caractère, sa révolte, et ses réflexions montrent une volonté hors du commun de comprendre et de s’en sortir. Et un jour, un paysan pauvre la regardera d’un autre œil. Enceinte, elle voudra s’occuper de son enfant afin qu’il ne connaisse pas le sort qui fut le sien. Si bien que l’ouvrage se termine sur une note d’espoir.

                Roman documentaire (la source est authentique), le livre de Renate Welsh incite à une réflexion sur la société et son évolution, les relations entre humains, les préjugés, les inégalités sociales…

                Facile à lire, à l’intérêt soutenu, l’ouvrage mérite toute votre attention.

Barbara Constantine :    Tom, petit Tom, tout petit homme, Tom

                Enfant débrouillard, Tom vit dans un vieux mobil-home avec sa mère, femme enfant obnubilée par la taille de ses seins qui attirent les regards des hommes. Pour manger, il « vole » des légumes dans le jardin de ses bienveillants voisins anglais que cela distrait. Au fil du temps, il fera la rencontre de Madeleine, une vieille immigrée, qui prendra beaucoup de place dans sa vie et chez qui il cultive des tomates ; de Samy aussi dont il apprendra qu’il est le fils. Et des nœuds se dénouent…

                L’école, les copains, la ville et tous nos « indispensables » loisirs et technologies ne font pas partie de ce monde plein de fraîcheur – à l’image du titre -, d’humour tendre qui force à sourire, où la situation misérable n’est jamais plaintive.

                J’ai beaucoup aimé ce livre et redouté de voir arriver la dernière page. A travers les chapitres courts, les phrases un peu hachées, le vocabulaire « naturel », les liens étroits entre dialogue, monologue et récit, l’auteur sait nous intégrer dans l’univers des personnages, nous invite jusque dans leurs pensées.

                Tom, Joss, Sunny, Madeleine, Archibald et Odile, Balourd et le Mité, des « héros » que l’on n’oublie pas, qui donnent à la vie une saveur nouvelle. 

Bestiaire  tome 3 – Didier Tesson

                 Dans la continuité des ouvrages précédents, ce tome 3 nous invite à partager la complicité entre Didier Tesson et la Nature, particulièrement le monde animal. Toujours la même patience, le même souci du détail, de la valorisation de l’être observé dans son milieu, la même volonté de nous associer à des instants magiques de « vrai bonheur » à travers des anecdotes vécues, dans un style simple et vivant qui emporte le lecteur aux côtés de l’auteur. Trois parties dans le livre : animaux et paysages d’ici, de France et d’ailleurs avec une large place laissée aux oiseaux. Une leçon d’émerveillement.

                Moins sombre que pour les tomes précédents, la couverture d’un vert lumineux, tout comme les photos plus claires, incitent à une vision optimiste de l’équilibre naturel. Par contre, je n’ai guère de goût pour l’écriture rouge de la dernière partie, couleur de la passion dit-on, mais aussi du sang et de la violence. Il est vrai qu’entre mes mains même les copies d’élèves bénéficiaient d’une correction verte, pleine d’espoir… 

Le bal des frustrés – A. Bouvier

                Quelle étrange idée que de vouloir faire découvrir le monde à travers les « yeux » d’un grain de blé ! En fait, le système trouve vite ses limites et l’on dépasse ce monde limité du « narrateur » pour des réflexions philosophiques, une description de l’évolution du monde agricole…

                Et l’auteur ne se contente pas de cette difficulté narrative. Il veut intégrer à son récit un maximum de paroles de chansons et d’expressions, au risque de faire du lecteur un participant à ce « bal des frustrés ». Etonnamment, il demeure conscient comme en témoignent ces lignes :

« Je pourrais ainsi noircir des pages et des pages… »

«Endurez encore ces quelques lignes (…) d’un écrivain sans renom qui se sentant pousser les ailes d’une inspiration hugolienne en aurait eu la verve mais pas le génie. »

J’ai apprécié le chapitre où le grain de blé rencontre des rats, le début de la 3ème partie qui présente de façon tout à fait réaliste l’évolution du monde agricole (le grain de blé est oublié) et réveille des souvenirs d’enfance… Mais, que de longueurs, de mots inutiles, d’expressions alambiquées, pompeuses !

Avec plus de simplicité, l’ouvrage gagnerait considérablement en intérêt.

Le canal des innocentes – H. Huguen

                Un roman policier « local » qui abuse quelque peu des références aux lieux-dits dans un cercle qui s’étend de Nantes à Nort/Blain/Derval/Guenrouët. Sans doute faut-il multiplier ces références pour trouver de nouveaux lecteurs ? Une spécialité, semble-t-il, de l’éditeur breton « Alain Bargain ». Bien sûr, ces localisations aident le lecteur à « voir » l’action, mais encore faudrait-il que l’auteur connaisse bien les lieux, évite les invraisemblances…

                Second reproche : la surabondance du vocabulaire (champ lexical, dirait-on aujourd’hui) se référant au « mauvais temps ». Créer une atmosphère est nécessaire, toutefois ici, malgré le talent de l’auteur, on sature un peu.

                Mais, finalement, le lecteur oublie ces quelques restrictions car l’histoire est bien écrite et prenante avec de fausses pistes, un suspens maintenu jusqu’au dernier chapitre, si bien qu’il est difficile de fermer l’ouvrage la lecture commencée. Pas de relâchement dans le style avec alternance de dialogue et récit, de focalisation ; l’introduction de phrases courtes, voire nominales pour mettre en valeur un caractère, une situation. Aux personnages et lieux décrits avec suffisamment de précision, s’ajoutent des allusions à l’actualité qui intègrent le lecteur dans le récit et l’incitent à mener l’enquête aux côtés du commissaire Baron ; Nazer Baron dont l’auteur sait valoriser forces et faiblesses, part de mystère et obstination car l’enquête se déroule sur deux périodes : les années « 88 » et 2011 où des femmes ont été assassinées, torturées sur les bords du canal…

                Ne vous fiez pas à l’apparence « roman de gare », lisez…

                  Les lavandières de Brocéliande – E. Brasey

                Un ouvrage qui ne m’a que partiellement séduit. L’intrigue policière se noie trop souvent derrière les contes de la forêt mythique. L’omniprésence des fées et sorcières de Brocéliande m’a agacé, tout comme certaines expositions sanguinolentes sans doute destinées à attirer le lecteur. Aussi pénible, l’aspect « documentaire » qui nous fait quitter le récit pour des exposés mal intégrés au texte.

                Pourtant, la forêt, la période choisie (guerre 39/45), les personnages et leurs secrets, certains caractères complexes soutiennent la lecture et excitent la curiosité.

                Un ouvrage qui mériterait d’être repris, épuré.

                En matière de roman policier breton, j’ai préféré Le pêcheur de l’île aux pies de G. Vinet. Ici, l’intrigue domine, le décor est secondaire… peut-être trop, mais c’est un choix revendiqué : « L’île aux pies n’a, à proprement parler, rien à voir avec les faits » (G. Vinet). Pas facile de trouver un équilibre ! Et que penser du cynisme de ce pêcheur, savant fou, dont on se demande parfois s’il n’est pas partagé par l’auteur…

                Quelques contradictions, mais on oublie ces négligences, emporté par le style incisif de l’écrivain, ses réflexions plus ou moins acerbes sur notre monde « théâtre de guignol », ses fines observations que l’on relie aisément à l’actualité, à nos propres expériences.

                Les cornes d’ivoire – Tome 1 : l’Afirik ; de Lorris Murail

                Le récit se situe au pire temps de l’esclavage dans un monde inversé où les noirs dominent les blancs considérés et traités comme du bétail.
                L’idée est originale, le choc des faits salutaire, d’autant plus que l’on est proche de notre époque : premières photos, premiers avions, drogue et trafiquants…
                Toutefois, la surprise passée, on n’échappe pas à une certaine banalité : monde inversé certes, mais monde inversé seulement.
                Heureusement, se détache rapidement le personnage de Mari qui prend progressivement de l’autonomie, que les expériences vécues conduisent inexorablement à une liberté de pensée et d’être. L’auteur sait préserver la lenteur de l’évolution, lui donnant cohérence et vraisemblance. Et c’est à cette héroïne que s’attache le lecteur.  Pour autant, les personnages secondaires ne sont pas négligés. L’on reconnaît et l’on comprend mieux à travers leur diversité les comportements et prises de position de toute une époque face à l’esclavage.
                Aventures, amours, maîtrise de la phrase, de l’image et du rythme : une lecture aisée pour une réflexion nécessaire.
                Et l’on peut volontiers, avec Mari et Penda, partir vers le septentrion (titre du tome 2) à la conquête du « savoir », « seul véritable instrument de la liberté » selon le savant Peul.
                                                                                                                                                                                                                                                                     Laurent