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Des eaux souillées à la forêt sacrifiée

Des eaux souillées à la forêt sacrifiée

               

Soleil d’automne en cette fin octobre. Bastien et Romain ont décidé de profiter de cet été prolongé.

                1ère étape : les sablières de la Pelliais (Vay)

                … Mais l’étang auquel nous avions rêvé pour une pêche tranquille montre les dents, des dents rouges de ragondin agressif « Propriété privée – défense d’entrer ». Ainsi en ira-t-il sans doute progressivement de cet ensemble d’eaux et de plantes rares qui ont occupé tant de nos journées…

                Au bord de la route et de l’allée qui s’enfonce entre deux haies d’ajoncs, les premiers déchets apparaissent : morceaux de laine de verre, plastiques divers… La pancarte incitant à respecter les lieux gît à terre, piétinée, dégradée. Demi-tour vers une autre entrée, un étroit chemin qui nous conduit au cœur du site. Nous sommes accueillis par des boîtes de pizzas… vides, et de multiples canettes tout aussi vides. Plus loin, une batterie, des morceaux de carrosserie, et toujours ces bouteilles jusqu’au centre de buissons épineux : le Petit Poucet humain a tracé son chemin.

                Tandis que Bastien et Romain tendent leur ligne dans les eaux calmes, Laurent continue à scruter les buissons et, rapidement, les bouteilles s’accumulent dans le sac poubelle prévu « au cas où… » Romain, qui s’était éloigné, revient avec un bidon ravi aux « eaux déchetterie ». On avait presque oublié l’hameçon qui s’orne de cette jolie algue envahissante, le lygorophon majeur, qui colonise les lieux. Adieu pêche… avec d’autant moins de regrets que des cèpes attirent les regards affûtés aux bord d’un sentier voisin…

                - Et si on allait en forêt cet après-midi ?

                Ligne pliée, sac poubelle transporté, nous quittons ces lieux où il faudrait revenir pour un nettoyage intensif.

                2éme étape : forêt du Gâvre

                C’est un sac de déchets qui nous reçoit en lisière, sans doute pour ménager une transition avec la matinée. Nous nous enfonçons sous les chênes. Nous sommes loin d’être seuls : les chercheurs de champignons se marcheraient presque sur les pieds. Mais nos regards exercés, enfin celui de Romain principalement, nous permettent d’accéder aux trésors espérés : sous la molinie se cachent les dômes d’un brun luisant des bolets désirés. Ils s’entassent dans les sacs papier que porte Laurent. Mais, Bastien commence à traîner des pieds martyrisés dans des bottes un peu trop petites. Satisfaits, nous quittons la forêt en nous promettant de revenir le lendemain avec des buts différents.

                3ème étape : la fontaine Pétaud

                Ancien puits de sabotier, fontaine de légende, le puits dont les pierres saillent à peine du sol accueille les vœux de nos deux jeunes forestiers. Les épingles lancées – en conformité avec la légende – troublent à peine la surface de l’eau où des visages se dessinent. Dans une anfractuosité, Laurent découvre un mystérieux bocal. Un message à l’intérieur et une voiture miniature. Sans doute l’un de ces trésors répertoriés sur les sites de géocaching. Nous procédons à un échange de trésor avant de remettre le bocal en place avec un nouveau message. Mais le récipient n’est pas vraiment étanche et notre petit mot risque de se noyer l’hiver prochain.

                4ème étape : de la légende à l’Histoire

                Nous voici sur la route bétonnée qui contourne les principaux blockhaus, héritage de la guerre 39/45. Le site est à l’abandon. Des pins imposants penchent dangereusement. Certains, soutenus par de fragiles branchages menacent le promeneur imprudent, d’autres couchés en travers de l’allée témoignent de la dégradation croissante de l’entretien de la forêt. Sous des « postes incendie » à moitié écroulés s’accumulent les déchets. Voici des trous d’obus. Impressionnant. Les ruines d’un blockhaus bombardé disparaissent sous les ronces. Des grilles ferment les entrées protégeant les chauves-souris cachées dans ces abris guerriers.

                - Tiens, un dépôt de tôles amiantées, des déchets, des sacs plastiques pleins de souvenirs de pique-niques…

                Nous franchissons la route et tentons de suivre un sentier équestre abandonné. En bordure, sous les frondaisons, toute une ligne de blockhaus. On examine les profondeurs où se dessinent de mystérieuses formes.

                - On va faire des cauchemars, murmure Romain.

                Nous continuons cependant, contournons une vasière de glaise collante, franchissons un profond fossé. Les jeunes s’aventurent sur un tronc glissant, fragile pont au-dessus du vide. Et voici un nouveau trou d’obus devant l’entrée d’un blockhaus aux murs décalés par le souffle de l’explosion. Des fissures du plafond pendent des stalactites. Sous les feuilles, on repère une tôle criblée d’éclats. L’Histoire en direct.

                De tels trésors d’Histoire et de légendes, notre forêt en recèle de multiples. Mais à l’opposé d’une Brocéliande surmédiatisée, ici on cache, on casse, on incite à l’oubli. On ne veut surtout pas nuire à l’exploitation du « bois argent » et de la « chasse monnaie ». Pourquoi ce triste refus du passé, des témoignages de l’Histoire ? Pas assez de sous à gagner ? Pourtant un tourisme maîtrisé donnerait vie aux petites cités voisines…